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'' Si on m'avait dit... ''

Extrait du récit autobiographique de Guy Fouilloux




Printemps 1954, je travaille à la boucherie Cotin. J’ai vingt ans et toute la vie devant moi. Ce dimanche 9 mai, comme toute la jeunesse environnante, je me rends à la fête foraine de la Coupée. L’occasion de s’amuser et faire des rencontres. Tout le monde y va. Les jeunes pour faire des manèges. Les plus vieux, pour discuter à la buvette. Une distraction que l’on attend chaque année avec impatience.


J’étais bien loin de me douter que ce jour-là sur les auto-scooters ma vie allait totalement être bouleversée par le plus beau sourire du monde. Je me trouvais avec mon copain Jeannot Bonnet qui avait repéré bien avant moi la jolie brune et sa copine dans l’un de ces engins électriques, quand nos yeux se sont croisés. Ce fut le coup de foudre ! Tout de suite, nos regards se sont agrippés l’un à l’autre ; on ne s’est plus lâché des yeux, on ne s’est plus lâché du tout, en fait. On s’est tamponné pas mal. Méthode de drague un peu hasardeuse, mais gagnante ! Quand on est descendu des voitures électriques, nous nous sommes retrouvés. On a discuté puis on a dû aller boire un verre et on a flirté rapidement. Ce jour-là, je revenais d’une course de vélo, je m’en souviens encore, car je m’étais cassé la figure et j’étais blessé au petit doigt. Après la course, j’étais donc rentré me changer. La fête du village était l’une des rares occasions de sortie avec les bals. Veste en velours, foulard en soie autour du cou et paquet de cigarettes dans la poche, était la tenue de rigueur des gars qui voulaient un peu impressionner les filles. Même pour une simple fête de village, les jeunes femmes s’habillaient avec élégance. Ce jour-là, Simone portait un tailleur noir et blanc très classe.


J’ai découvert qu’elle habitait Flacé. Nous étions donc pas loin l’un de l’autre finalement. Jusqu’à la fin de l’été, je vais vivre comme dans un rêve. Je suis amoureux, c’est merveilleux. Je me sens invincible. Je suis aimé par une jeune femme éblouissante au sourire enjôleur. J’ai l’impression de flotter dans une réalité parallèle légère et douce. Nous élaborons déjà des projets d’avenir. La bienséance veut que nous nous fréquentions avant de nous marier et nous officialiserons deux ans plus tard durant mon service militaire.


Quatre mois après ma rencontre avec Simone, la nuit s’abat brutalement à mes pieds quand une violente congestion cérébrale cloue mon père dans son lit. Il est encore jeune, tout juste cinquante-quatre ans, mais son corps est usé par de longues années de labeur. Le médecin appelé à son chevet nous signale que si toutefois il s’en sort, il restera paralysé du côté gauche jusqu’à la fin de sa vie. Il croit bon d’ajouter qu’Adrien a le cœur d’un homme de soixante-dix ans, soit d’un vieillard pour l’époque, ce qui n’est pas fait pour nous rassurer. De nos jours, on nomme cela un accident vasculaire cérébral et cela s’opère. De nos jours, il s’en serait peut-être sorti. Il tiendra moins d’une semaine. En quelques jours, ma mère se retrouve veuve et moi orphelin. Sidérés par la vitesse à laquelle il nous a quittés, nous nous retrouvons tous les deux désespérés devant le corps de mon père étendu dans le lit conjugal. C’est moi qui prends les choses en main. Pas de funérarium à l’époque. Pompes funèbres et décorum ne viennent pas jusqu’à la chambre où il repose. Je fais donc ce qui doit être fait. L’habiller, le raser, le préparer pour son passage dans l’au-delà. C’est dur. C’est très dur quand on a vingt ans et que l’on est fils unique. Pas de frère et sœur avec qui partager la douleur, juste une maman éplorée et déboussolée qui ne dort plus la nuit, qui l’appelle et qui crie. Je suis traumatisé et ne sais quoi faire pour la réconforter. Alors nous cherchons le chat qui n’a rien trouvé de mieux que de disparaitre en même temps que mon père. Un joli chat noir que j’adore. Nous passons des jours à le chercher, en vain. Ce sont finalement les hommes chargés de la mise en bière qui le trouveront. Ils ont d’ailleurs dû avoir une sacrée frayeur en soulevant le drap blanc qui recouvrait le défunt, car le chat était couché, lové contre le corps de son maitre. Depuis ce jour, j’ai toujours voué une passion pour les chats noirs. Ma mère et moi étions inconsolables et si traumatisés que des amis de Lévigny tout près de Charnay nous recueilleront, tous les deux, pendant quelque temps pour nous permettre de nous remettre émotionnellement.


Simone n’a dû rencontrer mon père que deux ou trois fois avant que celui-ci nous quitte brutalement ; je suis tout de même heureux qu’elle l’ait connu un peu quand même. Mon père l’appréciait beaucoup.


Quelques mois plus tard, je partirai faire mon service militaire. Je serai affecté fort heureusement non loin de Mâcon, à la base aérienne de Dijon.


 

Récit autobiographique écrit par Guy Fouilloux en collaboration avec Florence Clémente

CVOTREHISTOIRE | octobre 2022





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