Mémoires d'un enfant de Pirajoux
Extrait du récit autobiographique de Noël Piroux
[...] De nouvelles élections se profilaient pour l’année 2020, une année dont personne n’imaginait qu’elle allait être aussi spéciale et dont l’impact et les conséquences seraient durables.
Je décidais d’annoncer mon retrait définitif de la mairie lors de la traditionnelle cérémonie des vœux qui avait lieu au début du mois de janvier et lors de laquelle je devais d’ailleurs recevoir une médaille pour mon sacerdoce de plusieurs dizaines d’années au service de la commune et de mes concitoyens.
Mes trois adjoints avaient également décidé de ne pas se représenter pour le scrutin de 2020. La situation était compliquée et j’avais alors suggéré à l’une de mes conseillères municipales de reconstituer une liste. Néanmoins, celle-ci ne souhaitait pas devenir maire. Je l’avais alors encouragée en lui disant : « Ne t’inquiète pas, prépare une liste et tu trouveras bien quelqu’un qui prendra ma place ». Elle organisa donc une réunion dans la salle du conseil avec tous les futurs candidats qu’elle avait pu recruter. La difficulté majeure était que personne ne voulait se risquer à prendre la place du maire.
Lors de cette soirée particulière, je me trouvais tranquillement chez moi, ne me doutant absolument pas de ce qui était en train de se jouer à la mairie. L’appel téléphonique de ma conseillère m’a aussitôt convaincu qu’il y avait un problème et pour la énième fois de ma vie, je traversais de nouveau la route en direction de la mairie. Un silence un peu compact m’accueillit quand je pénétrai dans la salle du conseil. Les visages des uns semblaient gênés, d’autres avaient l’air soulagés. Mais que se passait-il donc ? L’une de mes anciennes conseillères prit la parole la première. Elle se lança. Un peu comme quand on se jette à l’eau alors qu’on n’a aucune idée de la température : « Alors voilà, nous avons matière pour établir une nouvelle liste », commença-t-elle. C’est quand elle poursuivit avec « mais » que je tiquais un peu. « Mais personne ne veut prendre ta place ». Voilà c’était dit. J’avais eu raison de penser qu’il y avait bien un problème. Cela faisait tellement d’années que je tenais le devant de la scène, le premier rôle en somme et personne ne se sentait à la hauteur ou ne voulait tout simplement endosser le costume, un peu comme au théâtre. « Il faut que tu reviennes », avait-elle ajouté, d’un ton presque suppliant. Ma réaction ne s’était pas fait attendre, car je m’étais mis à rire, un rire jaune comme on dit. « Vous plaisantez » ? avais-je répondu. J’avais annoncé officiellement mon départ lors des vœux au mois de janvier. Ensuite, j’avais martelé haut et fort à qui voulait bien l’entendre que je ne me représentais pas. La nouvelle avait même fait l’objet d’un article dans la presse ! « Si je reviens, je vais me faire étriller, les gens ne vont pas comprendre », ai-je conclu.
Dès ma plus tendre enfance, j’avais été imprégné par cette ambiance de vie communale, de mairie, d’élus, de représentants politiques en tout genre, et de tout le décorum qui va avec. Cela avait commencé avec mon grand-père et cette honorable mission au service de la commune s’était transmise à mon père et enfin à moi. Pendant que je réfléchissais au hasard de la vie qui m’avait conduit il y a bien longtemps à me mettre au service de mon village, la discussion avait repris dans la salle du conseil entre les potentiels candidats. Finalement, un tour de table permit à chacun d’exprimer le motif qui lui faisait décliner la place de maire. Chaque personne concernée avait une raison valable. Ils étaient d’accord pour être conseillers ou adjoints, mais aucun d’eux ne briguait la première place. La situation paraissait sans issue. Jusqu’à ce que l’un d’entre eux balance cette phrase, comme son ultime atout : « C’est pas compliqué, soit tu reviens, soit on abandonne tout ». À ce moment-là, je dus changer de couleur et ce fut presque comme un électrochoc, car je me rendis soudain compte que s’ils abandonnaient ce projet, il n’y avait plus de liste, plus d’élections, plus de maire et plus de mairie. La pire conséquence étant que notre commune soit incontestablement rattachée à une autre et cela risquait de fortement me contrarier. L’idée même m’était insupportable, j’en avais le vertige. Je me sentais déjà presque dépossédé de mon petit village de Pirajoux, le village de mon enfance [...]
Biographie écrite avec CVOTREHISTOIRE | Juin 2024
Comments