Les Années Bleues et Vertes
Extrait de la biographie de Maryse Marin
Quelque temps après notre arrivée en Dordogne, les alliés ont débarqué en Normandie. En ce jour de juin 1944, maman se trouvait au marché de Hautefort, un petit village situé à environ dix kilomètres de la maison. Elle s’y rendait une fois par semaine souvent avec Nini d’ailleurs. Elles pédalaient pendant des kilomètres et des kilomètres pour faire des courses, poussant parfois jusqu’à Brive. Ce que nous ignorions à ce moment-là, c’est que des divisions de SS remontaient depuis quelques jours de Montauban. Elles avaient l’ordre de mener des opérations de ratissage en réponse aux actions de la Résistance qui se multipliaient. Les SS, qui commençaient à battre en retraite, allaient alors commettre les pires atrocités en exécutant froidement des populations entières.
Je me souviens tellement de cet instant, quand maman est revenue du marché précipitamment, blanche comme un linge, lâchant brutalement son vélo et se précipitant vers nous, tout en criant : « Vite, vite, on part se cacher dans la forêt, les Allemands arrivent à Hautefort ». Elle était complètement affolée, d’autant qu’une rumeur abominable courrait sur le fait que les Allemands coupaient les mains des garçons lorsqu’ils arrivaient dans un village. Nous sommes vite rentrés au Dalon, attrapant quelques vivres au passage. La terreur provoque souvent des actes irrationnels ou irréfléchis. Alors que nous prenions à la va-vite, de quoi manger et de quoi se couvrir, ma grand-mère s’empara de sa statue de Saint-Antoine. Originaire de la ville d’Assise en Italie, Octavia était très pieuse. Cette grande effigie de Saint-Antoine de Padoue devait être très lourde, pourtant, elle s’y agrippa et la serra contre elle comme une bouée de sauvetage. Ainsi équipée, elle s’enfuit avec maman, Henri, Josette et moi dans les bois. Que pouvions-nous faire d’autre, à part prier de toute façon ? Pépé et papa ne nous ont pas suivis. Ils ont grimpé sur le fenil dans la grange et s’y sont cachés avec leurs fusils. Des ouvertures leur permettaient d’observer la route qui arrivait de Hautefort. Ils voulaient se défendre et défendre notre maison. Terrorisés, nous nous sommes retrouvés dans les bois, non loin de la petite rivière du Dalon, en bas de la colline. Au bout d’un certain temps, nous avons fini par apercevoir des flammes et des fumées qui émergeaient au-dessus de la forêt. Nous avons alors compris que les Allemands étaient passés. Ils avaient épargné Hautefort pour jeter leur dévolu sur la commune de Badefols-d’Ans où ils avaient incendié les archives de la mairie. Par malheur, ils ne se sont pas arrêtés là et ils ont poursuivi leur macabre croisade, exterminant, pillant et brulant tout sur leur passage. Ils ont tout d’abord perpétré un premier massacre à Tulle, puis se sont ensuite dirigés vers Périgueux, traversant Brive-la-Gaillarde. Sans le savoir, nous avions été pris en étaux. L’abominable barbarie nous avait frôlés durant quelques instants. N’importe quel village pouvait être pris pour cible à tout moment. Ce 10 juin 1944, ce sera Oradour-sur-Glane qui deviendra en quelques heures un village martyr, l’un des pires massacres de civils de la Seconde Guerre mondiale. Cela aurait pu être Hautefort, cela aurait pu être le village de Teillots. Cela aurait pu être nous.
Autobiographie écrite en collaboration avec CVOTREHISTOIRE | Décembre 2023
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